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la grève des sardinières de Douarnenez

par nuts » 29 avr. 2024 00:16

Hiver 1924, les ouvrières des conserveries défient leurs patrons.

Leur revendication : 45 centimes d’augmentation.

Intimidations, tentatives de meurtre... Rien n’entamera leur détermination

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Une clameur sourde réveille le port breton par un petit matin de décembre 1924 : au cœur de la bourgade, la rumeur enfle, mêlant chants, cris, rires et claquements de milliers de sabots sur le pavé.

Enfin, elles apparaissent, brandissant des drapeaux rouges et faisant résonner d’un air de défi les paroles rebelles de L’Internationale : "Debout ! les damnés de la terre. Debout ! les forçats de la faim..."

Elles, ce sont les sardinières, ces ouvrières qui se tuent au labeur dans les usines de conserverie de Douarnenez.

Cet hiver, elles ont décidé de se mettre en grève et de manifester.
On les reconnaît aisément à leur petite coiffe blanche qui retient les cheveux en arrière, facilitant le travail sur les chaînes, qui leur vaut le surnom de Penn Sardin ("Tête de sardine").

La troupe vibrante s’arrête devant les usines de la commune pour lancer de mordants quolibets à l’adresse des patrons. "Béziers, maquereau à l’eau !" crient-elles pour se moquer de l’un des principaux usiniers.

Surtout, sur l’air alors très populaire des lampions, elles chantent "Pemp real a vo" qui, en langue bretonne, signifie : "Ce sera 1,25 franc".

Car ce que ces travailleuses réclament à grands cris, c’est une augmentation de leur tarif horaire : 0,80 franc... une misère à une époque où la douzaine d’œufs vaut près de 6,50 francs et le kilo de beurre, 15 francs !


Depuis l’invention de la conserverie de poisson au milieu du XIXe siècle, Douarnenez s’est imposée comme la championne européenne des sardines en boîtes avec 21 conserveries.

Dans les usines, au sommet de la hiérarchie, les contremaîtres règnent d’une main de fer.
Puis viennent les sardinières.
Certaines découpent, sèchent le poisson et le mettent en boîte.
D’autres, les bouillottes (souvent les plus vieilles), ont la tâche de surveiller le temps d’ébullition.
Enfin, les charoyeuses sont les manœuvres qui apportent le poisson frais sur les chaînes.
Lors des inspections, les enfants sont dissimulés dans le trou à sel.

Faute de moyens de réfrigération, les ouvrières doivent se mettre au travail dès que les poissons arrivent à l’usine.

En principe, selon une loi votée en 1919, elles ne devraient trimer que huit heures par jour... Mais en réalité, il s’agit plutôt de quinze heures.

La législation est constamment bafouée.

Le travail de nuit, théoriquement interdit pour les femmes, n’est même pas payé à un taux majoré, pas plus que les heures supplémentaires.

Et le temps passé dans les usines à attendre le poisson n’est tout simplement pas rémunéré.

Et comme aux temps féodaux, une sorte de droit de cuissage est aussi maintenu. "S’il y avait une jeune fille qui plaisait (au patron), qui était jolie, il n’arrêtait pas d’ici qu’il aurait eu la fille. Il était tout le temps derrière elle. Si la fille ne voulait pas, eh bien, elle était renvoyée à la longue", témoigne une sardinière dans l'ouvrage Les Ouvrières de la mer (éd. L'Harmattan, 1994), de l’écrivaine bretonne Anne-Denes Martin.


Alors, qu’est-ce qui a pu déclencher la grève le 21 novembre 1924 ?

Seulement l’accumulation, le mal-être, le sentiment d’être exploitées qui conduisent ces femmes à cesser le travail du jour au lendemain.

Sans tract, sans consigne, le débrayage commence chez Carnaud, une fabrique de boîtes vides où les ouvriers n’ont pas pu obtenir d’augmentation de salaire.

Les autres usines sont aussitôt alertées.
Le slogan "Pemp real a vo" se répand comme une traînée de poudre.

En moins de quatre jours, les 21 conserveries de Douarnenez cessent leur activité. Toutes les sardinières sont dans la rue.
Aucune d’entre elles n’imagine se lancer dans un bras de fer au long cours avec les usiniers.

Mais les patrons refusent de plier, surtout face à des mécontents... en jupons. Ils parient sur un pourrissement du conflit.

L’arrivée, dès les premières semaines de lutte, de cadres du Parti communiste venus de Nantes et de Paris va changer la donne.

Parmi eux, figure Lucie Colliard, 47 ans, institutrice révoquée, antimilitariste, devenue pionnière du féminisme.

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Elle est accompagnée de Charles Tillon, âgé de seulement 27 ans, ancien engagé dans la marine.
Mutiné en mer Noire, promis au bagne, il a déjà derrière lui un long passé de militant (et deviendra plus tard maire, député puis ministre).

Ce sont eux qui vont aider les sardinières à s’organiser pour tenir tête aux patrons.
Très vite, les deux syndicalistes rassemblent les frondeuses sous les halles couvertes de Douarnenez.

Charles Tillon fait élire un comité de grève.
Celui-ci comporte 15 membres, dont 6 femmes. C’est bien peu : elles représentent 73 % des grévistes.
Mais c’est déjà une avancée historique si l’on tient compte de leur quasi-absence des instances syndicales et politiques dans la France de l’époque.

Il faudra attendre encore vingt ans pour qu’elles obtiennent le droit de vote et celui d’être élues.

Lucie Colliard, membre du Parti communiste, se rend sur place pour aider ces femmes et médiatiser leurs revendications.

On peut aussi s’étonner de la prompte mobilisation des militants communistes.

C’est que Douarnenez a un maire "rouge" : Daniel Le Flanchec.

Petit, rondouillard, borgne, ce tribun au langage fleuri, qui s’est fait tatouer "Mort aux vaches !" sur la main droite, est extrêmement populaire auprès de ses concitoyens.

Ses discours enflammés et sa présence dans les manifestations maintiennent le moral des ouvrières rebelles.


Rapidement, le conflit se durcit et prend une dimension nationale.
Le 4 décembre, les patrons tentent d’expédier une cargaison de conserves. Mais sur un pont, les grévistes, le maire à leur tête, barrent le passage au camion et à son escorte. Ils font parler les poings.

Le lendemain, Le Flanchec est suspendu un mois de ses fonctions par le préfet. Les élus communistes s’insurgent à la Chambre des députés.

Grâce à la presse, toute une partie de la France s’émeut.

Le Quotidien, la publication des socialistes, ouvre une souscription en faveur des sardinières.

De grandes figures, comme Vincent Auriol ou Léon Blum, y participent pour enrayer le "drame de la misère" qui se joue en Cornouaille.

Sur place, pourtant, rien ne bouge.

Il faut que le ministre du Travail s’en mêle pour convaincre enfin patrons et grévistes de s’asseoir à la même table, à Paris.

Le 15 décembre, un cortège de 3 000 personnes accompagne les délégués du comité de grève à la gare.

Les trois sardinières du convoi rencontrent "Monsieur le ministre" et posent, pour l’occasion, pour la une de L’Humanité !
Mais les usiniers ne veulent toujours rien savoir.


Le 23 décembre, coup de théâtre.
Mme Quéro, propriétaire d’une friture, signe un contrat avec son personnel. Certes, l’entreprise est petite et les salaires un peu en deçà de ceux espérés par les grévistes. Mais une brèche est ouverte.

Le clan des industriels n’a plus qu’une idée en tête : briser le mouvement.

Ce sera dans le sang. Le 1er janvier 1925, le maire Daniel Le Flanchec, son neveu et quelques amis marins et ouvriers ont trouvé refuge au café de l’Aurore. Des individus à la mine patibulaire se présentent alors au comptoir et se plaignent des chants entonnés par les convives révolutionnaire.

Le ton monte. Des coups de feu retentissent.

Le maire gît sur le plancher blessé au cou par une balle.
La nouvelle enflamme les rues de Douarnenez. La foule réclame vengeance.

Selon des témoins, les criminels se sont enfuis au Café de France, un établissement où les patrons ont leurs habitudes.

Le lieu subit bientôt la colère des manifestants : les portes sont enfoncées, les tables, renversées, les vitres volent en éclats...

Ce sont surtout les gendarmes qui, au prix de violents affrontements, réussissent finalement à rétablir l’ordre.

Les responsables de "l’attentat" seront arrêtés peu de temps après.
Il s’agit de briseurs de grève professionnels que deux patrons de conserverie ont recrutés à Paris. On retrouve sur eux la somme de 20 000 francs, soit l’équivalent de 25 000 heures de travail d’une sardinière.

Le préfet menace de porter plainte contre le syndicat des usiniers. Pour ne pas être inquiétés par la justice, ils signent des accords, le 8 janvier.

En janvier 1925, les sardinières obtiennent notamment la reconnaissance du droit syndical.

Après quarante-six jours de grève, les Penn Sardin obtiennent presque entièrement satisfaction : leur salaire horaire passe à 1 franc, toutes les heures de présence sont payées, les heures supplémentaires sont majorées et aucune sanction n’est prise contre les débrayeuses.

Miraculeusement, le maire et son neveu ont échappé à la mort.
Une dernière fois, une foule de près de 5 000 personnes se déploie dans la ville.
Une victoire décisive. Dans les usines, c’est la fin du patronat de droit divin.

Quelques mois plus tard, Daniel Le Flanchec inscrit Joséphine Pencalet, une sardinière, sur sa liste lors des élections municipales. Élue, elle ne pourra exercer son mandat, mais une étape symbolique vient d’être franchie.


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Re: la grève des sardinières de Douarnenez

par ChristelleP » 29 avr. 2024 00:42

:shock: :shock:

merci Nuts pour le partage :mercichinois:

Re: la grève des sardinières de Douarnenez

par nuts » 29 avr. 2024 03:33

la Cornouaille a gardé des traces de cette époque puisqu'ils votent encore très à gauche
surtout dans le Poher et la Haute Cornouaille

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Re: la grève des sardinières de Douarnenez

par ChristelleP » 29 avr. 2024 04:08

Nuts :top: :mercichinois:

Re: la grève des sardinières de Douarnenez

par ChristelleP » 30 avr. 2024 01:31

Cette chanson est un hommage aux Ouvrières Sardinières des conserveries des ports de Bretagne sud. Du 21 novembre 1924 au 6 janvier 1925, les Sardinières du quartier de Douarnenez se mettent en grève et luttent pour la revalorisation de leur salaire. Elles demandent un franc de l'heure.


Re: la grève des sardinières de Douarnenez

par Francis1 » 30 avr. 2024 08:32

:merci:

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