Je vous propose une traduction d'un enseignement du maître Thanissaro, intitulé "La joie de l'effort", en espérant que ma version ne soit pas trop mauvaise et que ça puisse être utile.
https://www.accesstoinsight.org/lib/authors/thanissaro/joyeffort.html
The Joy of Effort (La joie de l'effort)
Par
Thanissaro Bhikkhu
© 2010
"Quand il expliquait la méditation, le Bouddha faisait souvent des analogies avec les compétences des artistes, charpentiers, musiciens, archers et cuisiniers. Trouver le bon niveau d'effort, disait-il, c'est comme un musicien qui accord sa lute. Lire les besoins de l'esprit à l'instant - d'être réjoui, tranquillisé, ou inspiré - c'est comme la capacité d'un cuisinier de palais de lire et combler les goûts d'un prince.
Prises dans leur ensemble, ces analogies établissent un point important: la méditation est une compétence, et la maîtriser devrait être agréable de la même façon que l'apprentissage de toute compétence intéressante peut l'être. Ainsi, le Bouddha disait à son fils, Rahula: "Quand tu constates que tu as agi, parlé, ou pensé d'une manière vertueuse - qui conduit au bonheur tout en ne faisant pas de mal à toi-même ou aux autres - sois-en joyeux, et continue à t'entraîner."
Bien sûr, dire que la méditation devrait être appréciable ne signifie pas que ce sera toujours facile ou plaisant. Chaque méditant sait que ça requiert une discipline sérieuse de s'asseoir en traversant de longues périodes déplaisantes et en démêlant tous les problèmes de l'esprit. Mais si vous pouvez appréhender les difficultés avec le même enthousiasme qu'un artiste approche les challenges dans son travail, la discipline devient appréciable: les problèmes sont résolus grâce à votre propre ingénuité, et l'esprit est dynamisé pour des challenges encore plus difficiles.
Cette attitude joyeuse est un remède utile face aux attitudes plus pessimistes avec lesquelles les gens abordent souvent la méditation, qui ont tendance à tomber dans deux extrêmes. D'un côté, il y a la croyance que la méditation est une série d'exercices ennuyeux et mornes qui ne laissent aucune place à l'imagination ou l'investigation: serre simplement les dents, et, au bout du compte, ton esprit atteindra un état éveillé. D'un autre côté, il y a la croyance que tout effort est contreproductif au bonheur, donc que la méditation ne devrait impliquer aucun effort: accepte simplement les choses telles qu'elles sont - c'est idiot de vouloir qu'elles soient mieux - et relaxe toi dans l'instant présent.
Bien qu'il soit vrai qu'aussi bien la répétotoon que la relaxation peuvent apporter des résultats en méditation, quand l'un des deux est poursuivi en excluant l'autre, ça mène dans une impasse. Si, par contre, vous pouvez intégrer les deux dans une compétence plus large qui consiste à apprendre comment appliquer le bon niveau d'effort requis à tout moment, alors elles peuvent vous emmener loin. Cette compétence plus large requiert de grands pouvoirs de pleine conscience, de concentration, et de discernement, mais si vous vous accrochez, elle peut mener jusqu'au but ultime pour lequel le Bouddha enseignait la méditation: le nirvana, un bonheur totalement inconditionné, libre des contraintes de l'espace et du temps.
C'est un but inspirant, mais ça requiert du travail. Et la clé pour maintenir votre inspiration durant le travail quotidien de la méditation c'est de l'approcher comme un jeu: une opportunité heureuse de maîtriser des compétences pratiques, de poser des questions, d'expérimenter, et d'explorer. C'est précisément ainsi que le Bouddha lui-même enseignait la méditation. Au lieu de formuler une méthode toute faite, il entraînait d'abord ses étudiants dans les qualités personnelles - telles que l'honnêteté et la patience - nécessaires pour faire des observations fiables. Alors seulement il enseignait les techniques de méditation, et même là il ne formulait pas tout. Il posait des questions et suggérait des domaines à explorer, dans l'espoir que ses questions captureraient l'imagination de ses étudiants afin qu'ils développent leur discernement et qu'ils arrivent à des intuitions ("insights" en anglais) de leur propre chef.
Nous pouvons le voir dans la manière dont le Bouddha enseignait la méditation à Rahula. Il démarra avec le problème de la patience. Médite, disait-il, afin que ton esprit soit comme la terre. Des choses dégoûtantes sont jetées au sol, mais la terre n'est pas horrifiée par ces choses. Quand tu rends ton esprit comme la terre, aucune impression sensorielle, agréable ou désagréable, n'en prendra le contrôle.
Alors, ce que disait le Bouddha à Rahula ce n'était pas d'être passif comme une motte de terre. Il enseignait à Rahula à être ancré, à développer ses pouvoirs d'endurance, afin qu'il soit capable d'observer à la fois les événements agréables mais aussi douloureux dans son corps et son esprit, sans devenir absorbé par le plaisir ou chamboulé par la douleur. C'est à ça que sert la patience. Ca vous aide à rester assis au milieux des choses jusqu'à ce que vous les compreniez suffisamment bien pour pouvoir y répondre adroitement.
Pour développer l'honnêteté durant la méditation, le Bouddha enseigna à Rahula un autre exercice. Observe l'inconsistance des événements dans le corps et l'esprit, disait-il, afin que tu ne développes pas une notion de "je suis" autour d'eux. De cette manière le Bouddha élaborait sur une leçon qu'il avait enseignée à Rahula quand celui-ci avait sept ans. Apprends à regarder tes actions, avait-il dit, avant de les faire, pendant que tu les fais, et après les avoir faites. Si tu constates que tu as mal agi et causé du tort, résous-toi à ne pas répéter l'erreur. Ensuite parles-en à quelqu'un que tu respectes.
A travers ces leçons, le Bouddha entraînait Rahula à être honnête avec lui-même et avec les autres. Et la clé de cette honnêteté est de traiter vos actions comme des expériences. Ainsi, si vous constatez que les résultats ne sont pas bons, vous êtes libres de changer votre façon de faire.
Cette attitude est essentielle pour développer l'honnêteté dans votre méditation également. Si vous considérez chaque chose - bonne ou mauvaise - qui survient durant la méditation comme un signe du type de personne que vous êtes, ça sera difficile d'observer quoique ce soit avec honnêteté. Si une mauvaise intention survient, il est probable que vous vous dévalorisiez comme un méditant misérable ou que vous réprimiez l'intention sous un voile de déni. Si une bonne intention survient, il est probable que vous deveniez fier et complaisant, interprétant ça comme un signe de la bonté de votre nature intrinsèque. Il en résulte que vous n'en venez jamais à vérifier si ces intentions sont réellement aussi bonnes qu'elles avaient l'air à première vue.
Pour éviter ces pièges, vous pouvez apprendre à voir les événements simplement comme des événements, et non comme des signes de votre "Bouddhitude" ("Buddha-ness" en anglais) intrinsèque ou de votre mauvais fond. Alors vous pouvez observer ces événements honnêtement, pour voir d'où ils viennent et où ils mènent. L'honnêteté, associée à la patience, vous place dans une meilleure position pour utiliser les techniques de méditation qui permettent d'explorer votre esprit.
La première technique que le Bouddha à enseigné à Rahula était la méditation sur le souffle. Le Bouddha recommandait seize étapes pour gérer le souffle. Les deux premières étaient des instructions simples. Les autres soulevaient des questions à explorer. De cette façon, le souffle devient un outil pour exercer votre ingéniosité à résoudre les problèmes de l'esprit, et exercer votre sensibilité à évaluer les résultats.
Pour commencer, contentez-vous d'observer quand le souffle est long et quand il est court. Pour les étapes restantes, cependant, il faut vous entraîner. Autrement dit, vous devez comprendre par vous-mêmes comment faire ce que le Bouddha recommande. Les deux premiers entraînements consistent à inspirer et expirer en étant sensible au corps entier, puis à calmer l'effet que le souffle a sur votre corps. Comment faire ? Vous expérimentez. Quel rythme du souffle, quelle façon d'aborder le souffle calme ses effets sur votre corps ? Essayez d'imaginer le souffle non pas comme de l'air entrant et sortant de vos poumons mais comme un flux d'énergie à travers votre corps qui pousse l'air à l'intérieur et à l'extérieur. Où sentez-vous ce flux d'énergie ? Imaginez-le qui circule à l'intérieur et à l'extérieur de votre nuque, dans vos pieds et vos mains, le long de vos nerfs et de vos vaisseaux sanguins, dans vos os. Imaginez-le qui entre et qui sort de chaque pore de votre peau. Où est-il bloqué ? Comment faites-vous disparaître les bloquages ? En respirant au travers d'eux ? Autour d'eux ? Droit à l'intérieur d'eux ? Voyez ce qui marche.
Tandis que vous jouez avec le souffle de cette manière, vous ferez des erreurs - je me suis parfois donné des migraines à forcer trop sur le souffle - mais avec la bonne attitude les erreurs deviennent des leçons pour apprendre comment vos perceptions façonnent la façon dont vous respirez. Vous vous surprendrez aussi à être impatient ou frustré, mais vous verrez alors que si vous respirez à travers ces émotions, elles disparaissent. Vous commencez à voir l'impact du souffle sur l'esprit.
Ensuite, dés que le souffle est calme et que vous vous sentez rafraîchi par un sentiment d'aisance et de calme, vous êtes prêt à observer l'esprit lui-même. Cependant, vous ne quittez pas le souffle. Vous ajustez légèrement votre attention afin d'observer simplement l'esprit pendant qu'il reste avec le souffle. Pour cette partie, le Bouddha recommande trois domaines d'expérimentation: sachez quand réjouir l'esprit quand il a besoin d'être réjoui (en anglais "how to gladden the mind when it needs gladdening" dur à traduire), comment le tranquilliser quand il a besoin d'être tranquillisé, et comment le libérer de ses attachements et de ses fardeaux quand il est prêt à être libéré.
Parfois pour le réjouir et le tranquilliser il faudra introduire d'autres sujets de contemplation. Par exemple, pour réjouir l'esprit vous pouvez développer une attitude de bienveillance infinie, ou vous remémorer les fois où vous avez été vertueux ou généreux. Pour tranquilliser l'esprit quand il est submergé par le désir, vous pouvez contempler le côté peu att ant du corps humain. Pour vous refocaliser quand vous êtes somnolent ou complaisant, vous pouvez contempler la mort - en réalisant que la mort peut subvenir à tout moment et que vous devez préparer votre esprit si vous souhaitez l'affronter avec finesse. A d'autres moments, vous pouvez réjouir ou tranquilliser l'esprit simplement par la manière dont vous vous focalisez sur le souffle lui-même. Par exemple, respirer dans vos mains et vos pieds peut réellement ancrer votre esprit quand sa concentration est devenue instable. Quand un seul endroit dans le corps n'est pas suffisant pour maintenir votre intérêt, essayez de focaliser votre souffle sur deux endroits en même temps.
Le point important étant que vous vous êtes à présent placés dans une position où vous pouvez expérimenter avec l'esprit et observer les résultats de vos expériences avec de plus en plus de précision. Vous pouvez essayer d'explorer ces compétences en dehors du coussin également: comment réjouissez-vous l'esprit quand vous êtes malade ? Comment tranquillisez-vous l'esprit quand vous devez gérer quelqu'un qui pose problème ?
Pour ce qui est de soulager l'esprit de ses fardeaux, la première chose à faire pour vous préparer à la liberté ultime du nirvana est de relâcher toute maladresse dans votre concentration. Une fois que l'esprit est stabilisé, vérifiez s'il existe d'autres moyens d'approfondir cette stabilité. Par exemple, dans les premières étapes de la concentration, vous devez diriger vos pensées vers le souffle, en évaluant et en ajustant pour rendre l'expérience plus agréable. Mais au bout d'un moment, l'esprit devient tellement stable que l'évaluation du souffle n'est plus nécessaire. Alors vous trouvez comment faire que l'esprit et le souffle ne soient plus qu'un, et de cette manière vous relâchez l'esprit dans un plus grand état de confort, intense et rafraîchissant.
Pendant que vous développez vos talents de cette manière, les intentions que vous avez utilisées pour façonner votre expérience de corps et d'esprit deviennent plus transparentes. A ce stade le Bouddha suggère de revisiter le thème de l'inconstance, apprendre à voir cette inconstance dans toutes les intentions. Vous réalisez que même les meilleurs états produits par des intentions vertueuses - les état de concentration les plus solides et raffinés - vacillent et changent. Réaliser cela produit un sentiment de désenchantement et de froideur vis-à-vis de toutes les intentions. Vous réalisez que la seule façon d'aller au-delà de cette impermanence est de permettre que toutes les intentions cessent. Vous observez pendant que toute est abandonné, même le chemin. Ce qui reste est inconditionné: l'immortel. Votre désir d'explorer le souffle vous a emmené au-delà du désir, au-delà du souffle, jusqu'au but final du nirvana.
Mais le chemin ne garde pas tous ses plaisirs pour la fin. Il divise la perspective intimidante d'atteindre l'Eveil total en plusieurs buts gérables - une série de challenges intriguants qui, au fur et à mesure que vous les rencontrez, vous permettent de progresser dans votre pratique. Cela rend en soi la pratique intéressante et une source de joie..
En même temps, vous n'êtes pas engagés dans de menus travaux. Vous développez une sensitivité aux causes et aux conséquences qui aident à rendre le corps et l'esprit transparents. Vous ne pourrez les laisser partir qu'une fois qu'ils sont complètement transparents. En expérimentant la totalité du souffle dans la méditation, vous vous sensibilisez sur ce point de votre attention où l'immortel - quand vous êtes suffisamment alerte pour le voir - apparaîtra.
Donc même si le chemin requiert de la patience, c'est un effort qui ne cesse d'ouvrir de nouvelles possibilités à la joie et au bien-être dans l'instant présent. Et même si les étapes de la méditation du souffle mènent finalement à un sentiment de désenchantement et de froideur, ils le font dans une ambiance joyeuse. Le Bouddha ne demande jamais à personne d'adopter une état d'esprit qui renie le monde - ou qui l'accepte. Au lieu de ça, il demande une attitude "d'exploration du monde", dans laquelle vous utilisez le monde intérieur du souffle entier comme un laboratoire pour explorer les plaisirs inoffensifs et clairvoyants que le monde peut offrir. Vous apprenez les compétences pour calmer le corps, développer des sensations rafraîchissantes, de plénitude, et de confort. Vous apprenez à calmer l'esprit, à le tranquilliser, à le réjouir, et à le libérer de ses fardeaux.
C'est seulement quand vous faites face aux limites de ces compétences que vous êtes prêts à les laisser tomber, pour explorer tout potentiel supérieur de bonheur qui existe. De cette façon, le désenchantement se développe non pas à partir d'une attitude bornée ou pessimiste mais à partir d'une attitude d'espoir dans le fait qu'il doit y avoir quelque chose de meilleur. C'est comme le désenchantement qu'un enfant ressent quand il a maîtrisé un jeu simple et se sent prêt pour quelque chose de plus difficile. C'est l'attitude d'une personne qui a mûri. Et comme nous le savons tous, on ne devient pas mature en s'effaçant du monde, en le regardant passivement, ou en demandant à ce qu'il nous divertisse. On mûrit en l'explorant, en étendant la palette de ses compétences utiles à travers le jeu."